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La loi et l’ordre, et le parcours et le rayon

Billet publié le 15/02/2006

Amusons-nous à retrouver le sens d’une loi…

L’article 99 de la loi du 30 juillet 1987 (dont j’avais parlé ici, autour de la question du zonage) interdit l’installation des sex-shops à moins de cent mètres des établissements scolaires. Mais qu’est-ce que cela signifie ?

Pour le comprendre, il faut essayer de remonter à l’origine de cette loi. L’une des origines est sans doute une série de questions au gouvernement posées par des députés, à partir de la fin des années 1970. Par exemple cette question du député Valleix :

M. Valleix rappelle à M. le ministre de l’intérieur que le principe de la liberté du commerce et de l’industrie ne permet pas d’imposer des mesures restrictives en ce qui concerne l’ouverture des établissements de « sex shop ». (…) Il n’en demeure pas moins que l’ouverture de telles boutiques à proximité d’établissements scolaires est extrèmement regrettable. On peut observer en ce qui concerne la protection de la jeunesse que des dispositions existent s’agissant des débits de boissons. Ainsi l’article L.49 du code des débits de boissons prévoit que les préfets peuvent prendre des arrêtés pour déterminer les distances auxquelles les débits de boissons ne pourront être établis autour de certains édifices et établissements (…) Il apparaîtrait souhaitable que des mesures analogues puissent être prises en ce qui concerne les « sex shops », au moins aussi dangereux sur le plan moral pour les jeunes que les débits de boissons.
Journal officiel de la République française, Assemblée nationale, 18 février 1978, p.584

A une question similaire, le ministre de l’intérieur de l’époque répond que “la mise en oeuvre d’une réglementation prohibant l’ouverture des sex-shops à proximité d’établissements fréquentés par les jeunes, et notamment des institutions scolaires, ne paraît pas susceptible de mieux garantir la protection des mineurs (…). Leur fréquentation, en effet, n’est pas comparable à celle des débits de boissons
Mais des parlementaires (surtout de droite, UDF ou RPR) reviendront régulièrement à la charge… Jusqu’à ce qu’en 1987 Jacques Bichet, député du territoire de Belfort, arrive à ajouter un amendement dans une loi “portant diverses mesures d’ordre social”. La généalogie de cet amendement est donc liée, au moins en partie, à une reprise, dans le domaine sexuel, de la gestion spatiale des débits de boissons.
Et là réside l’importance de ce point de détail. Comment mesure-t-on la distance entre le débit de boisson et l’établissement scolaire ? C’est le trajet à pied qui compte, entre l’entrée principale des deux lieux.
Mais au moment où l’amendement Bichet est examiné par le Sénat, en juin 1987, c’est la notion du “périmètre de sécurité” qui est retenue — alors qu’elle n’apparaissait pas dans le débat de l’Assemblée nationale (entre le 4 et le 9 juin). Le Rapport (n°273), Annexe au procès verbal de la séance du 16 juin 1987 (Sénat, seconde session ordinaire de 1986-1987), par Louis Boyer, propose (p.132) :

Cet article, inséré par l’Assemblée nationale, tend, en quelques sorte, à créer un périmètre de protection autour de l’ensemble des établissements scolaires.
En effet, il s’agit d’interdire dans un rayon de cent mètres autour d’un établissement scolaire, l’installation d’un établissement dont l’activité principale est la vente ou la mise à disposition au public de publications dont la vente aux mineurs est prohibée.
Cette mesure nous paraît très salutaire.

Le même Louis Boyer répètera presque les mêmes termes lors du débat public au Sénat.

En 2002, deux tribunaux, à Lyon et à Rouen, interdisent l’installation de sex-shops (à Rouen, Tribunal de Grande instance, ordonnance de référé du 17 juillet 2002, dossier n°02/00492 ; à Lyon, Tribunal de Grande instance, ordonnance de référé du 7 juin 2002, dossier n°02/01541). Ils retiendront l’idée du “périmètre de sécurité” aux dépens de celle du trajet :

les demandeurs soutiennent avec juste raison que le mode de calcul tiré du Code de la Santé Publique ne saurait être applicable en l’espèce, le texte de la loi du 30 juillet 1987 se référant en réalité à un périmètre de sécurité, comme il en ressort des débats à l’Assemblée nationale
TGI Lyon, 7/06/02

Même chose à Rouen :

ce texte spécifique aux débits de boisson n’a pas vocation à s’appliquer aux commerces (…) dont l’extérieur des vitrines peut comporter l’exhibition de publication dont la vente aux mineurs (…) est prohibée
TGI Rouen, 17/07/02

L’interprétation des tribunaux repose sur ce qui serait l’intention des parlementaires ayant voté ce texte (il est fait mention, sans citation précise, de “débats à l’Assemblée nationale”, dont je n’ai pas encore trouvé trace). Or il existe à ce sujet des désaccords entre parlementaires. En 1997, un sénateur, Gélard, tente de durcir cette “loi des 100 mètres” en l’étendant à 300 mètres et à tous les lieux fréquentés par des jeunes.
Lors de la séance du 30 octobre 1997, au Sénat, Robert Badinter s’emporte :

Mes chers collègues, véritablement je ne suis pas sûr qu’on ait mesuré la portée de ce qu’on est en train de faire ! Je n’ose penser aux malheureux collègues professeurs de droit qui auront à présenter à leurs étudiants ce texte concernant finalement la suppression pure et simple, par une voie détournée, des sex-shops !
En commission des lois, nous avons essayé de mesurer ce que représentait un périmètre de trois cents mètres. Nous sommes arrivés à vingt-sept hectares, je crois.
Nous nous sommes dits que ce n’était pas possible ! Si nous prenons la carte d’une ville et que nous traçons un périmètre d’un tel rayon autour de chaque établissement, nous couvrons toute la ville !
(…)
Par conséquent, ce que vous faites en cet instant, par une voie détournée, c’est supprimer purement et simplement les sex-shops

Ce à quoi le sénateur Gélard répond :

Je voudrais répondre à M. Badinter. Cela ne fait pas vingt-sept hectares ! Cela ne ferait que trois hectares pour cent mètres. Mais ce n’est pas ainsi qu’il faut compter. Ces cent mètres doivent être calculés de façon linéaire à partir de la porte de l’établissement. Cela ne représente plus du tout trois hectares ! Cela ne concerne que la distance que l’enfant va parcourir de la sortie de l’école jusqu’à sa station d’autobus ou autres. On peut donc parfaitement installer des sex-shops, puisqu’il s’agit non pas d’un rayon, mais d’une distance.

Non pas d’un rayon, mais d’une distance…

Périmètre de sécurité contre distance de sécurité : jusqu’à présent, les tribunaux ont eu tendance à retenir comme allant de soi l’idée du périmètre… permettant beaucoup plus de restreindre l’installation des sex-shops que l’idée de la distance.

Mise à jour du 22 février 2007 L’article 99 de la loi du 30 juillet 1987 a été modifié en février 2007 : l’interdiction d’installation est de deux cents mètres, et la définition des sex-shops change. Pour plus d’informations, consulter cet article.

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7 commentaires

Un commentaire par François/phnk (15/02/2006 à 10:34)

C’est beau comme du Alain Desrosieres…

Un commentaire par sheepyr (15/02/2006 à 14:33)

Ubesque à bien des titres. Je pensais que les juges applicaient la loi a la lettre et pas à l’esprit ?

Un commentaire par salques (01/03/2006 à 14:46)

Que veulent ceux qui nous gouvernent ?…On ne peut gagner sur tous les tableaux

1 / Veut-on du fric, encore du fric, toujours du fric ? – parce que le débat de la question de l’implantation des Sex-chops doit se situer dans un contexte économique.

2/ Veut-on élever les générations futures, les adultes de demain dans l’idée que tout est possible, tout est permis, même la mercantilisation, et par là, la banalisation des affaires qui sont du domaine du privé, de l’intime ?

Que ceux qui nous gouvernent et nous dirigent, les preneurs de décisions, gardent un minimum de bon sens, si ce n’est de morale : ceux qui prônent la proximité de tels commerces près des établissements d’enseignement ont certainement des enfants scolarisés;

3/ souhaitent-ils que leurs propres enfants, durant leurs cours en classe, au lieu de se concentrer sur l’enseignement qui leur est dispensé gambergent sur les achats qu’ils pourront effectuer en sortant de ces cours ? Avec l’argent, que ces parents, votant ces lois, leurs auront donné ? Veut-on élever ou avilir ?

4/ Ou bien y-aura-t-il des secteurs scolaires “protégés” et d’autres pas, c-à-d des enfants scolarisés dans des établissement privés et qui seront protégés et tenus à l’écart de tout avilissement ?

J’ai 50 ans et je sais faire la différence entre une saine sexualité (et j’écris bien saine et non pas sainte, étant athée par dégoût de l’hyprocrisie des “bien-pensants”, qui vont en catimini dans des sex-shops dans des villes différentes de la leur, de crainte d’être vus – une sexualité faite de plaisir, de joie, d’éclats de rire, de confiance et de complicité et la sexualité avilissante, dégradante, aussi bien pour le genre masculin que féminin qui serait proposée à quelques mètres des établissements d’enseignement qui eux “bénéficieraient” d’une plus grande tolérance …

4/ Toute démagogie à ses limites :
que ressentiraient et vivraient ceux qui seraient d’accord pour un tel projet “au nom de la Liberté” (mais elle a bon dos), et qui auraient un de leurs proches victimes de détraqués dont les perversités latentes auraient été alimentées, activées voire exacerbées par les achats effectués dans ce genre de commerce – et je réponds sans état d’âme à cette interrogation: j’y verrais un juste effet boomerang et j’aurais assez de cynisme pour m’en réjouir-

Ras-le-bol des différences de poids et de mesures…

Tous nos drames sociaux, environnementaux, économiques et écologiques trouvent leurs tristes racines dans l’orgueil, la cupidité, la concupiscence, l’égoïsme des décideurs; certains ont une morale, une éthique de vie, d’autres, et ils sont majoritaires…ne veulent qu’assouvir leur immoralité voire leur amoralité au motif d’oeuvrer pour la société…

la violence urbaine qui fait tant de dégats,… puis de débats, est le résultat des inconséquences de nos ministres et parlementaires; ne sont-ils pas encore lassés de leurs propres stupidités ?

Faut-il encore en rajouter ? encore et encore ? les Sex-shops près des écoles seraient encore une violence, une autre forme de violence, et elle provoquerait une autre violence réactionnelle dans les banlieues et les cités.

Même si beaucoup de personnes ne disposent d’une culture suffisante afin de dialoguer d’égal à égal avec ceux qui se pensent “l’élite”, ils sont tout autant capables de souffrir dans les atteintes qui sont faites à la dignité humaine à travers eux, et ils le crient de la seule façon qui leur reste pour se faire entendre, puisque c’est la seule qui est écoutée, en dernier recours: la violence et la casse.

Pour clore ce partage : en ce qui me concerne, si un tel type d’établissement venait à s’implanter dans l’environnement de mes enfants je casserais, je casserais encore et encore jusqu’à qu’il y ait renoncement, si les voix de la dignité de la morale et du bon sens venaient à ne plus être écoutées, entendues et respectées.

Un commentaire par MASSE JP (18/06/2006 à 13:07)

Une ecole de coiffure recevant des mineures vient de s’installer devant mon sex shop. Les gamines surveillent toutes les entrées et sorties dans mon établissement en coiffant leur modèle et passent toutes leurs pauses sur le trottoir car elles n’ont pas de cour de récréation.Elles y déjeunent à midi.
L’éducation nationnale a donné son accord pour cette école qui est privée.
Je me bats pour que cela cesse mais personne bouge. J’ai porté plainte pour mise en danger de mineures mais n’ai eu aucune réponse du procureur.
Que me conseillez vous?

Un commentaire par Baptiste Coulmont » Archives » La nouvelle loi : Interdire les sex-toys ! (02/02/2007 à 19:48)

[…] En effet, le sénateur Lardeux a raison, mais il ne précise pas que plusieurs décisions de justice ont passé outre : même s’il n’y avait pas de publications interdites aux mineurs, la loi de 1987 s’est appliquée (à Rouen, Tribunal de Grande instance, ordonnance de référé du 17 juillet 2002, dossier n°02/00492 ; à Lyon, Tribunal de Grande instance, ordonnance de référé du 7 juin 2002, dossier n°02/01541 [plus d’infos ici])… […]

Un commentaire par denis (23/03/2013 à 12:17)

bonjour
cela fait 28 ANS QUE JE TRAVAILLE DANS LE SEXE JE NE COMPREND PAS COMMENT FAIT TON POUR MESURER EST CE L ENTREE PRINCIPALE DE L ECOLE A L ENTREE PRINCIPALE DE L AFFAIRE OUI OU NON
AUTRE QUESTION MOI JE VAIS OUVRIR UN SAUNA LIBERTIN AVEC DES ESPACES CALINS MAIS IL N Y AURA PAS DE VENTES DE SEX TOY EST CE QUE JE DOIS PENSER A CETTE LOI DES DEUX CENT METRE MERCI DE ME REPONDRE

Un commentaire par Baptiste Coulmont (26/03/2013 à 14:37)

> Denis : je vous ai répondu par mail.